Entrevue avec deux demandeurs d’asile : « un départ à zéro » 

le vendredi 6 octobre 2023

Baptiste et Rose (noms fictifs) n’avaient pas planifié d’immigrer au Canada. Ce couple d’Haïtiens ésidant à Santiago au Chili a traversé la frontière de Lacolle le 7 juin, avec comme seul bagage la petite valise qu’ils avaient en main pour leur voyage de six jours à New York. Depuis, ils se démènent pour «faire leur vie ici».

«Notre dossier est vraiment spécial», lance d’emblée Baptiste, avec un léger sourire en coin. 

Le couple s’était rendu à New York pour prendre part à un congrès afrodescendant aux Nations Unies. Baptiste, un activiste, y a fait une déclaration sur les Haïtiens vivant au Chili, qui n’a pas plu aux autorités. 

«Ç’a provoqué des anticorps au Chili. J’ai reçu un appel : je ne pouvais pas retourner», dit-il. 

Avec seulement un visa de touriste en poche, Baptiste n’envisageait pas qu’ils restent aux États-Unis. Se rendre au Canada, où habite depuis sept ans la mère de Rose, était «le mieux» en pareilles circonstances.  

«Je crois que c’est dur, mais on sait que quand on est activiste, toujours, il y a des risques. J’ai bravé pas mal de danger là-bas, mais je ne voulais pas m’exposer une fois de plus», exprime Baptiste pour décrire sa éaction à la suite de cet appel décisif.

Il raconte avoir été victime d’agressions policières en 2019 et, «à la suite de cette menace», de s’être fait voler sa voiture.

«Et en 2022, j’ai travaillé pour une mairie et on a arrêté un politicien qui avait un éseau qui volait des voitures. Je n’avais vraiment pas l’intention de retourner et m’exposer à des situations que je ne pouvais pas contrôler», relate-t-il. 

Rose, qui est traductrice, était pour sa part la vice-présidente de l’organisme Femmes haïtiennes au Chili. Elle a aussi fondé avec son mari la Fondation Kreyolofoli, qui a pour objectif de promouvoir les valeurs culturelles haïtiennes au Chili.

Surprise à l’examen de santé

Depuis son arrivée, le couple habite chez la mère de Rose, à Longueuil. Grâce à l’aide sociale, ils parviennent à payer certains frais et à «boucher quelques petits trous, image Rose. Mais on ne peut pas faire de projection.»

{{HTML|IMG|MEDIA|15431|333px|500px}}

(Photo: Le Courrier du Sud – Denis Germain)

Ils ne cherchent actuellement pas un logement de manière active, privilégiant de trouver un emploi. 

Rose toutefois, risque de ne pouvoir travailler au cours de la prochaine année. 

«Quand je suis arrivée ici, j’ai fait les examens de santé de l’immigration. Par mesure de précaution, on a fait un test de grossesse… qui s’est évélé positif! Le dossier reste en pause jusqu’à l’accouchement. Personne ne voudra m’engager sans permis et avec un gros ventre!» s’exclame-t-elle en riant.

Admettant qu’il lui est difficile de rester à la maison, Rose a écemment évoqué à son mari l’idée de retourner au Chili pour travailler. Mais elle demeurera finalement à Longueuil. «Je commence à m’ennuyer, mais parfois il faut faire des concessions. Côté moral, mental, c’est déstabilisant», témoigne-t-elle.

Emploi

Bien que Baptiste ait obtenu son permis de travail, il lui faudra probablement patienter un an avant de trouver un emploi comme travailleur social, sa profession. Certains documents doivent être traduits de l’espagnol et il devra intégrer l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec. 

Entre-temps, «il y a de petits boulots qu’il pourrait faire, détaille Rose. Par exemple, il cherchait un emploi comme intervenant communautaire, mais on lui demandait un AEC. On cherche des petits trucs ici et là; ce ne sera pas facile.»

«C’est la éalité des immigrés, poursuit son mari. J’espère qu’un jour, ça pourrait être mieux, mais en ce moment, on est en train de nous organiser. On va s’en sortir.»

L’avenir

Si Rose n’avait pas de famille au Chili, Baptiste y a trois enfants de 6, 7 et 9 ans. Il espère les voir quand il aura des vacances, ou quand ils auront 18 ans. 

«J’ai parlé de ma décision, mais je ne peux pas tout expliquer, reconnaît-il. Ce n’est pas du tout agréable de savoir que ton père est persécuté. Alors je garde ça pour l’avenir.»

Malgré les embûches et déracinements, le couple est déterminé à demeurer au Canada. «Penser à retourner n’est pas facile, épond Rose. Ce n’est pas pour tout de suite. On va s’installer et faire notre vie ici.»

À lire aussi : Rive-Sud : des demandeurs d’asile toujours nombreux, et des défis multiples

À bras ouvertsr

Les délais administratifs et la lourdeur de la paperasse gouvernementale ont beau faire les manchettes, Baptiste et Rose sont surtout reconnaissants de la façon dont ils ont été accueillis.

«On nous a ouvert les portes du Canada pour accéder à une protection. Pour nous, c’est quelque chose de très important. On avait des problèmes qu’on ne savait pas comment solutionner, expose Baptiste. C’est quelque chose à honorer.»

Ayant travaillé dans le système migratoire du Chili, il ne peut que constater les différences. Tous deux ont obtenu le document certifiant leur statut de demandeurs d’asile le jour même de leur arrivée. Le papier leur donne notamment accès aux banques, aux soins de santé.

«Ceux qui passent la frontière au Chili, après 10 ou 15 ans, ils n’ont toujours pas les documents. Certains ont vécu cinq ans sans avoir un compte bancaire», illustre Rose.